Les égouts de Cadwallon. Un des
endroits les plus dangereux d'Aarklash pour celui qui ne sait pas se défendre
convenablement. Car au delà de l'odeur insupportable, au delà
des maladies, il y a toute la vermine qui y pullule... et pas seulement
les rats : les voleurs, les évadés en cavale, les pouilleux,
les mendiants et plus encore les Ténèbres elles-mêmes
!
A la lueur d'une torche, enfoncé dans l'infâme bourbier
jusqu'aux genoux. Alahel avançait prudemment. Il touchait au but
: le palais du Duc Den Azhir, souverain de Cadwallon, n'était plus
très loin. Le Messager devait surgir là où ses ennemis
l'attendraient le moins. Aussi avait-il choisi de passer par les égouts...
Mais cette racaille de saltimbanque ambulant lui avait fourni un faux
plan, pourtant payé à prix d'or. Envahi par la rancune,
Alahel se jura de retrouver la fripouille une fois cette affaire terminée
et de lui faire cracher toutes ses dents. Le ressentiment d'Alahel fit
lentement place à l'inquiétude. Qu'était-il advenu
de Hogarth et de Kahinir ?
La Journée avait pourtant bien commencé. Alahel, Hogarth
et Kahinir avaient passé la Porte du Couchant la veille au soir,
accompagnés de leurs hommes. Tous avaient fêté leur
victoire sur le Paladin Noir dans une petite taverne de Cadwallon, avant
de s'endormir dans des draps de soie. La vie d'Aventurier peut avoir de
bons côtés, si on a les bonnes relations ...
Mais Alahel avait d'autres plans en tête. Il avait disparu à
l'aube pour ne revenir qu'en fin d'après-midi, fébrile comme
un officier se préparant à une dure bataille. Le Lion portait
avec lui une sacoche de cuir marquée du sceau d'Alahan, ainsi que
la carte d'un tronçon des égouts de Cadwallon.
Lorsqu'il déroula le parchemin, tous virent qu'il avait été
soigneusement tracé à même la peau du dos d'un malheureux.
Vu l'état de l'objet, il avait été prélevé
dans des conditions difficiles. Un râle de dégoût parcourut
l'assemblée. Nul n'osa demander à Alahel où il l'avait
obtenu, ni surtout auprès de qui. Le Messager dévoila que
les miliciens qui accompagnaient le Paladin Noir lors de leur échauffourée
de la veille appartenaient à la garde d'un comte de la ville, un
certain Lyiet Izhar ... lié à l'ambassade d'Alahan. L'objectif
de la mission d'Alahel devint limpide : il avait été chargé
par le roi Gorgyn d'éclaircir la situation sur les agissements
du comte. La présence du Paladin Noir avait fini de fonder les
soupçons d'Alahel : Lyiet Izhar complotait avec les Ténèbres.
Hogarth et Kahinir acceptèrent volontiers d'aider le Lion. Après
tout, il avait sauvé la vie du géant Keltois ! Mais comment
confondre Izhar ? Le Duc Den Azhir donnait une réception ce soir
dans son palais, et Alahel avait dans sa sacoche les preuves de la traîtrise
du comte. La présence des gardes serait un obstacle de taille ...
Aussi le Messager avait déniché le plan d'un passage des
égouts qui menait jusqu'aux cuisines du palais.
Hélas, un traître avait révélé les
intentions des Aventuriers. Sitôt entrés dans les égouts,
ils furent assaillis par des hommes en armes. Les défaire fut facile,
mais ce n'était rien en comparaison de ce qui arriva par la suite
...
Tout au long de leur voyage souterrain, les héros découvrirent
d'autres soldats laissés en embuscade, mais surpris à leur
tour par un prédateur qu'on devinait terrifiant. Ils avaient été
mis en pièces avant d'être dévorés. Au dernier
collecteur, une monstrueuse colonie fondit sur la troupe comme une nuée
cauchemardesque. Des Goules, des Wolfen pervertis, des Gobelins dégénérés
à Force de mutations et même quelques Nains de Mid-Nor s'étaient
donnés rendez-vous pour la curée. Une véritable bataille
se déroula dans les sous-sols de la ville franche. L'appétit
cannibale et l'instinct de survie peuvent décupler la force d'un
individu !
Chacun luttait avec l'énergie du désespoir, conscient
de l'issue du combat en cas de défaite. Fauchant sans distinction
les ennemis à sa droite et à sa gauche. Hogarth cria à
Alahel de s'en aller, de terminer sa mission pendant que ses hommes retenaient
les forces des Ténèbres dans ce caveau putride. Confiant
dans la force du Colosse, de Kahinir et de leurs combattants. Alahel acheva
l'immonde mutant polymorphe qui lui faisait face et disparut dans un tunnel.
C'était il y a ... un certain temps. Alahel n'en finissait plus
de tourner dans les couloirs étroits et malodorants, cherchant
en vain a se repérer sur son plan. Finalement, il du se résoudre
à son inutilité et le jeta avec mépris. De nombreux
rats dégoulinèrent des murs pour prendre pari à ce
festin impromptu. Un bruit lointain cassa le rythme des pas d'Alahel dans
la boue nauséabonde. Le Messager aurait voulu croire à la
présence d'un animal anodin, mais il savait que c'était
plus qu'improbable. Il se dissimula à l'angle d'un croisement,
coinçant sa torche dans le passage en face de lui. Ainsi, il pourrait
surprendre son adversaire. L'attente ne fut pas longue. Une ombre effrayante
se profila sur les murs des égouts, suivie par d'autres toutes
aussi inquiétantes. Plusieurs Goules s'approchèrent lentement,
humant l'air à la recherche d'une victime. Alahel peinait à
comprendre comment ces êtres abominables pouvaient se repérer
a l'odeur dans un endroit aussi immonde ... Les Goules nécrophages
se déplaçaient le long des murs, aidées de leur griffes
puissantes. L'une d'entre elles s'engagea dans le passage éclairé
et s'arrêta net, sentant la chaleur inhospitalière du flambeau.
D'un coup maladroit, elle fit tomber la torche dans l'eau avant qu'Alahel
ne puisse réagir. Malgré son grand courage, le Lion réprima
un frisson de pure terreur alors que les ténèbres reprenaient
leurs droits. A présent, il était aussi aveugle que ses
adversaires et aussi vulnérable qu'un nouveau-né. Un feulement
malsain à quelques centimètres à peine de son visage
finit de lui faire perdre son sang-froid. Alahel fit un grand pas de côté.
Le large moulinet qu'il décrivit avec son épée Délivrance
rencontra une masse molle et sanguinolente, provoquant en lui à
la fois soulagement et appréhension. Il sortit un briquet à
amadou de sa poche et ramena la Lumière dans le tunnel comme dans
son coeur.
Devant lui se tenait un monstrueux carnaval de chair, de crocs et de
métal rouillé : les abominations l'avaient retrouvé.
La terreur fit place à la rage... Le Lion poussa un rugissement
de défi et se prépara à affronter la mort en face.
Mais aucune créature ne bougea. Une force étrange semblait
les retenir. " Cette torche vous appartient, étranger. "
La voix cassée et flétrie provenait du dos d'Alahel. Le
Messager fit volte-face. Délivrance fendit l'air à la recherche
du coeur de son ennemi, ne trouvant que le bois là où elle
cherchait la chair. La torche éteinte quelques secondes plus tôt
venait de dévier son arme de sa trajectoire. Elle était
à présent dans une main décharnée pourvue
de doigts démesurément longs et crochus ... Le maître
de cette macabre cérémonie se tenait devant lui : un mort-vivant
d'une effroyable maigreur, engoncé dans une lourde cape noire et
coiffé d'un chapeau haut-de-forme. Ses bras nus avaient quelque
chose d'irréel, comme si leurs muscles atrophiés pouvaient
soulever des montagnes. Alahel chercha à nouveau à frapper
son adversaire, sans plus de résultat. Une gerbe d'étincelles
naquit de la rencontre entre Délivrance et le poignard que le mort-vivant
tenait dans son autre main. La furie du Messager connut un temps d'arrêt
lorsque la torche s'alluma d'elle-même, se consumant d'un feu violacé
et malsain.
" Je ne souhaite pas ta mort. Du moins ... pas maintenant. Tes
amis sont en lieu sûr, il ne tient qu'à toi qu'ils y restent.
"
" Tu mens. Retourne en Enfer, engeance des Tén ... "
Une étrange sensation s'empara de l'esprit d'Alahel alors qu'il
devenait capable de voir dans l'obscurité comme en plein jour.
Quelle farce maléfique lui jouait ce macabre individu ?
" Aux Ténèbres j'appartiens, aux Ténèbres
je reviens... Si elles avaient voulu te tuer, elles l'auraient fait depuis
longtemps. Mais pour une raison que tu ne peux comprendre, les Ténèbres
veulent que tu accomplisses ta mission ici. Laisse moi te guider vers
ta destination comme un passeur mènerait un voyageur jusqu'aux
rives de la résurrection... "
Alahel ne baissa pas sa garde. Mais en réalisant sa situation,
il comprit qu'il n'avait pas le choix. Presque à contrecoeur, il
fit un signe d'approbation de la tête. Et c'est ainsi que l'étrange
cortège de la Mort incarnée traversa les égouts de
Cadwallon, menant une âme pure vers son destin. Alahel su que son
voyage s'achevait lorsqu'il vit la lumière d'un feu à travers
une grille, à hauteur d'homme. Les monstres avaient, un par un,
abandonné leurs hôtes pour retourner dans les Ténèbres.
" Tu accéderas au palais de Den Azhir en poussant cette
petite grille. Fais bien attention, tu vas entrer dans la salle de torture
... Tes amis te retrouveront dehors, à l'aube. "
Le Messager éprouvait des sentiments mitigés.
" Je sais que tu n'es là que pour accomplir un dessein maléfique.
Mais sans toi, je ne serais plus de ce monde. Une dette d'honneur est
une dette d'honneur. Mon nom est Alahel. et je suis ton obligé.
"
L'être étrange fut pris d'un spasme, comme s'il avait voulu
rire.
" Lorsque tu planteras la lame de ton épée dans le
coeur pleutre de Lyiet Izhar, dis-lui que le prochain jeu de tarot du
Croquemitaine sera tatoué sur la peau de son dos. "
Alahel blêmit en comprenant à quel point la Mort s'était
jouée de lui.
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